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Augustin, le sens et les sens

01 avril 2015
Numéros de page :
32 p. / p. 271-302
L'histoire de l'Eglise médiévale est marquée par un processus de matérialisation du spirituel qui se caractérise notamment par la valorisation des édifices de culte, la légitimation de la valeur transitive des images manufacturées, la justification des possessions temporelles et la judiciarisation de l'institution ecclésiale. La période comprise entre le IXe et le XIIIe siècle constitue une étape décisive dans ce processus, mais on peut le suivre dès l'âge de Constantin et l'observer encore au temps de la Contre-Réforme. Le présent article pose l'hypothèse d'un tournant théorique effectué par l'oeuvre d'Augustin au début du Ve siècle. En articulant de manière originale la dialectique charnel/spirituel (caro/spiritus) dans un sens non dualiste, l'évêque d'Hippone proposa une conception de l'homme et de la communauté impliquant la domination du charnel par le spirituel et une perspective eschatologique guidée par la spiritualisation du charnel. Il donna ainsi un nouveau sens (c'est-à-dire une direction et une signification) à l'être humain, qui assumait non seulement la tension entre le corps et l'esprit mais aussi la construction d'une communauté chrétienne inscrite dans le siècle. L'analyse approfondie de quelques oeuvres d'Augustin datant des années 410-420 (Sermons sur l'Evangile de Jean, De Genesi ad litteram, De Trinitate, De civitate Dei) permet de dégager les principaux concepts qui fondent sa vision de l'homme et de la société (sensus, corpus, cor, visio, caro, spiritus, iter, homo viator, civitas, visio Dei). Ces concepts nous semblent pouvoir être envisagés comme les fondements théoriques d'une structure sur laquelle l'Eglise médiévale s'est construite et a évolué. Nous proposons ainsi de considérer sous un angle à la fois structural et dynamique le double processus de matérialisation du spirituel et de spiritualisation du charnel qui a caractérisé le long millénaire médiéval.