Jeanne d'Arc et Charles VII injuriés : les avatars d'un procès entre nobles au parlement de Paris en 1461
Bulletin : Revue historique 701
01 janvier 2022
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pp.3-33
Le 27 janvier 1461 s’ouvre un procès au Parlement criminel, que mène d’office le procureur du roi. Il met en cause Jean des Ulmes, un écuyer nivernais, et Jean d’Aigreville chevalier, ce dernier ayant dénoncé les injures que Jean des Ulmes aurait prononcées à l’égard de Jeanne d’Arc, traitée de « putain ribaude », et de Charles VII, ainsi que d’autres crimes capitaux, en particulier usage de la prison privée et du poison. La haine entre les deux hommes ne peut pas obéir à des raisons politiques, car tout en servant le roi dans ses guerres, ils sont tous les deux favorables au duc de Bourgogne et au dauphin Louis. Jean des Ulmes est le beau-fils de Perrinet Gressart et une grande partie de son héritage a été confisquée par le roi ; Jean d’Aigreville, capitaine de Montargis, est connu pour son action violente contre les officiers de Charles VII, lors de l’avènement de Louis XI. Il s’agit, en fait, d’une rivalité pour obtenir la Maison-Fort, une seigneurie qui dépend de Saint-Vérain en Nivernais, que Jean des Ulmes vient d’acquérir de Pierre III d’Amboise, lequel prétend en être le possesseur principal. Les pièces du procès civil qui oppose les deux hommes et précède le procès criminel ont pu être retrouvées. Le conflit porte sur la coutume qui doit régler l’héritage des nobles en ce pays de frontière et qui différencie celle du Donziais, favorable à la primogéniture mâle, et celle d’Ile de France ouverte à la transmission par les femmes. Débouté par le Parlement, Jean d’Aigreville choisit une voie radicale, celle de dénoncer son adversaire pour un crime relevant de la lèse-majesté, dans l’espoir de voir les biens de son ennemi confisqués et redistribués à son profit. Ce petit procès politique révèle que les nobles nourrissent leur vengeance en sachant désormais se servir des tribunaux pour arriver à leurs fins. Néanmoins, Jean des Ulmes n’est pas inquiété. Il bénéficie de la mort de Charles VII, le 22 juillet 1461, mais également de la justice menée au Parlement, fondée sur l’enquête, qui prend le temps d’interroger les témoins. On ne saura jamais si Jean des Ulmes a réellement proféré ces injures contre la Pucelle et contre le roi, mais elles sont tenues pour vraisemblables trente ans après le supplice de Rouen, signe que l’opinion est loin d’être unanime dans le royaume, mais aussi que la Pucelle a gagné en légitimité pour être défendue par la justice royale.