Des morales de classe ? Dispositions éthiques et positions sociales dans la France contemporaine
01 septembre 2018
Numéros de page :
pp.76-101
La sociologie de la morale a longtemps raisonné au singulier en procédant à l’exégèse de textes philosophiques ou juridiques. Si une tradition quantitative s’est constituée dans le domaine de la sociologie des valeurs et que la sociologie de la morale a connu un renouveau récent, les interprétations en termes de classes sociales demeurent rares. Pourtant, les inégalités matérielles et symboliques affectent les perceptions du juste et de l’injuste ainsi que les préférences morales. Celles-ci, aussi bien que les goûts et dégoûts, doivent beaucoup à l’appartenance à des groupes qui occupent des positions différenciées dans l’espace social. Grâce à une enquête statistique originale, qui porte sur différents domaines d’application de la moralité, nous identifions les principes qui construisent et légitiment les distances entre groupes sociaux. Nous montrons que l’espace des points de vue moraux est structuré autour de deux systèmes d’opposition (distance "versus" proximité au légitimisme culturel, principes versus conséquences) et que ces positionnements moraux différenciés permettent d’appréhender les conflits entre groupes, voire en leur sein. Les préférences morales ont des fondements sociaux et leur analyse met au jour la structure de l’espace social contemporain, caractérisé par un rapprochement des élites à capital culturel et à capital économique et par une fragmentation des classes populaires.