Une |Finance pour le peuple. Politique de la technique de gestion indicielle aux États-Unis
01 juin 2024
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pp.70-91
Cet article montre comment les gérants d’actifs financiers ont travaillé, depuis les années 1960, à donner l’impression qu’ils oeuvraient à établir une finance « raisonnable ». Pour ce faire, il retrace l’histoire politique d’une nouvelle technique de placement de l’épargne : la gestion indicielle. Il décrit les étapes au cours desquelles les promoteurs de cette technique se sont forgés un capital symbolique en se positionnant en un sous-champ financier soucieux de sécuriser l’épargne populaire. Cet espace social a constitué une sorte de « main gauche de la finance », opposée à la « main droite », celle du pôle formé par les agents les plus ouvertement spéculateurs. L’article analyse trois processus de persuasion qui ont façonné un tel clivage : la théorisation universitaire de la technique de gestion indicielle à partir des années 1960, sa légalisation juridique dans la décennie 1970, puis sa promotion médiatique à partir des années 1990. Les formes différentes d’autorité symbolique ainsi mobilisées ont joué de manière complémentaire et cumulative pour accréditer l’idée que ce sous-champ était capable de piloter le capitalisme dans son ensemble. La perspective d’histoire économique développée ici sur plus de soixante ans montre que les défenseurs de l’indiciel se sont toutefois accommodés des pratiques de leurs adversaires spéculateurs et, plus généralement, de la financiarisation des structures de l’économie. La polarisation que ces agents et institutions ont construite entre finance raisonnable et finance spéculative leur permet aujourd’hui de se présenter en alternative critique d’un ordre financier qu’ils ont pourtant contribué à faire advenir et dont ils sont devenus des instances centrales.