Le triangle rose est devenu l'étendard de la communauté homosexuelle dans les années 197o. À Berlin, Paris, Amsterdam ou New York, il est brandi lors de manifestations afin de se souvenir, de commémorer les martyrs du groupe, et de défendre les droits d'une nouvelle génération de militants nés après la guerre. Revendiquer la reconnaissance des homosexuels en tant que victimes du nazisme a longtemps été mal accueilli, tant par les autorités nationales que par certains anciens déportés. Les homosexuels entraient en concurrence avec d'autres groupes de victimes tels que les juifs ou les politiques... Mais l'émergence de la voix des Tsiganes et les témoignages de rescapés homosexuels ont modifié les choses... Il fallait le travail des historiens et la distance de deux générations pour analyser cette épineuse question. A Berlin, Paris, et Amsterdam, Régis Schlagdenhauffen a travaillé sur les archives de la déportation, il a assisté aux commémorations, enquêté sur la construction des monuments, leur financement et leur conception ; il a rencontré d'anciens déportés, les acteurs politiques tout comme les militants associatifs d'hier et d'aujourd'hui.

Le 30 janvier 1933, Hitler est élu chancelier du Reich. La haine nazie contre les homosexuels se déchaîne: les Allemands doivent avoir des enfants, futurs soldats combattant pour la grandeur de la nation et de la race. Avec l'homophobe paragraphe 175 du Code pénal, 100.000 homosexuels sont dénoncés, fichés et pourchassés par la police et les SS. 10 000 d'entre eux sont enfermés en camp de concentration. Ces persécutions frappent ensuite l'Alsace et la Moselle. A la Libération, les victimes, témoins et historiens se taisent et la déportation homosexuelle est écartée de la mémoire nationale. Jean Le Bitoux a reconstitué cette histoire, sur base de documents et témoignages, notamment de Michel Foucault ou Jean-Paul Sartre, et nous interroge : pourquoi cet aspect de la déportation a-t-il été éradiqué de notre mémoire collective ?