L'essor de la littérature populaire au 19e siècle est structurellement lié à un processus de mass-médiatisation de la culture : c'est en effet par de nouveaux modes de circulation des discours et des signes, en relation avec l'émergence et l'expansion de nouveaux supports (feuilletons, collections de petits romans, manuels scolaires, illustrations, photographies...), que s'opère une mutation culturelle décisive, accoucheuse de la modernité. Les pratiques sérielles du récit paralittéraire contemporain, dans ses différentes déclinaisons médiatiques (livre, BD., cinéma, chanson...) paraissent les produits les plus récents de cette transformation radicale de la culture en industrie, qui voit le peuple devenir un public, une multitude de consommateurs à conquérir. Or la recherche n'a guère insisté, sinon depuis peu et par coups de sonde isolés, sur un enjeu majeur de cette mutation : la propension remarquable du texte narratif populaire à se disséminer de manière transmédiatique, à circuler toujours plus largement dans l'imaginaire collectif via des adaptations (littéraires, scéniques, radiophoniques, cinématographiques, télévisuelles...) qui, si elles induisent parfois des modifications génériques, engendrent des pratiques culturelles de consommation nouvelles. Le "populaire", par sa narrativité spécifique, ses figures, sa symbolique ... serait-il prédisposé à cette expansion fictionnelle transgénérique et transmédiatique ?

Né dans les salles aux temps de la splendeur muette des années vingt, l'amour d'Henri Agel pour le septième art a porté sa vie. La magie de l'écran convertit cet intuitif doublé d'un fin lettré : il consacrera sa vie à initier les jeunes générations aux mystères du cinéma. Fervent missionnaire, il oeuvre pour que cet art ignoré s'impose à l'enseignement public – secondaire et supérieur. Pionnier des ciné-clubs, il est orateur dans la lignée attique d'un Jankélévitch. Il défriche aussi la théorie : avec Amédée Ayfre, Agel contribue à jeter les bases d'une phénoménologie du cinéma et donne à la critique – concue comme exégèse – les lettres de noblesse de l'herméneutique. Partisan résolu d'une spiritualité ouverte (de Bresson à Rossellini), Henri Agel a toujours pris ses distances vis à vis des dogmes. Esprit inclassable, ce pourfendeur d'idéologies fait partager ses passions – depuis soixante ans ! – dans de nombreuses revues (dont Etudes cinématographiques) et d'innombrables ouvrages, depuis le Cinéma a-t-il une âme ? (1952) jusqu'à Greta Garbo (1990). Référence, on lui doit le premier ouvrage d'ensemble sur Jean Grémillon. Parmi ses innombrables disciples : Serge Daney et Jean-Claude Guiguet, mais aussi Alain Cavalier et Jean-Marie Straub. Passeur résolu, éveilleur subversif, Henri Agel explore la part d'ombre des oeuvres majeures, tragiques, et fait ressentir l'invisible, cette ligne d'horizon que tout vrai cinéaste ne perd jamais de vue. Sa pensée vivante, nourrie des mythes fondateurs de l'humanité et témoignage d'un siècle qui crut au cinéma, étonnera encore bien des générations par la rigueur de sa conception et la musicalité de son expression.