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Les Dents de l'amer

01 décembre 2014
Numéros de page :
7 p. / p. 49-55
Un chicot dessiné au feutre noir. C'est le premier détournement auquel s'adonne l'ado désoeuvré pour défigurer un visage plein de santé sur une publicité en quatre par trois. Un simple coup de crayon, et tout est dévasté. Une blague potache qui fait toujours autant marrer et qui en dit long sur le pouvoir des dents. Notre société les veut aiguisées, longues, ultra bright, alignées et rayant le parquet. On se les fait blanchir à prix d'or dans des "bars à sourire" ou sur le siège d'un dentiste, même si le fond de l'âme est triste. Pas un plateau télé sans denture immaculée. Seul Michel Houellebecq, superbe édenté, semble faire un doigt d'honneur à la norme télévisuelle. Ils sont de plus en plus nombreux, les Français précaires, à devoir planquer leurs ratiches gâtées ou leurs gencives, dépeuplées, une main devant la bouche, n'osant même plus lever la tête. Oui, ils existent bien ces "sans-dents" que personne ne veut voir. Nous avons voulu, nous, les regarder en face, ceux qui peuplent les dispensaires ou le Bus social dentaire. Ceux qui, comme le petit Eddy Bellegueule, issu des classes populaires, avant de se rebaptiser Edouard Louis et de devenir un chic romancier, ne se sont pas lavé les dents et ont séché le dentiste, faute de moyens. "Je paye encore actuellement d'atroces douleurs, de nuits sans sommeil, cette négligence de ma famille, de ma classe sociale (...)" écrit-il. Les dents, le plus visible et le plus injuste des marqueurs sociaux...