Marguerite Duras intime
Bulletin : Lire 422 - février 2014
Numéros de page :
18 p. / p. 30-47
De texte en texte, de scène en scène, d'un film à l'autre, où se rencontrent les mêmes thèmes, illustrés par les mêmes situations, les mêmes énigmes, les mêmes sous-entendus, il est acquis que Marguerite Duras s'est longtemps cherchée. Non pas, malgré l'impatience de sa jeunesse - "Aragon peut attendre, pas moi !" -, qu'elle ait douté d'être écrivain, ni même parce qu'il lui tardait d'imposer un style qui, quoique distinct des "cérébraux" auteurs du Nouveau Roman, aurait brillé par sa modernité, mais parce qu'elle s'était heurtée très tôt au sentiment de vivre comme séparée de son inviolable secret ou, à l'exemple de ses personnages, d'être si fréquemment ravie à elle-même. Quand d'autres idolâtraient les concepts, Duras cultivait l'affect, celui de sujets à l'identité floue et au destin non maîtrisé, et, inévitablement parfois, les lieux communs. Il est malaisé d'adhérer à soi-même, au monde, au présent, tant qu'on se sent étrangement divisé, par exemple entre "celle qui parle", et "celle qui écrit". Y a-t-il des épisodes de sa biographie qui expliqueraient pareille sensibilité ? Comment conciliait-elle son "écriture courante" et sa "vie matérielle" ? Peut-on corréler ses amours vécues, ses lieux favoris à certaines oeuvres ? Qu'a-t-elle apporté à la littérature contemporaine : une pensée ou une poétique ? Quels auteurs d'aujourd'hui disent leur dette ? Simple, avare, injuste, capable de dire n'importe quoi, géniale, déroutante, Marguerite Duras n'a pas eu, en revanche, à chercher le "quelque part, où elle se sentirait à sa place. "On n'est personne dans la vie vécue, a-t-elle dit, on n'est quelqu'un que dans les livres."