Réinventer la paternité ?
Bulletin : <>Débat 200 - mai 2018
01 mai 2018
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Numéros de page :
19 p. / p. 190-208
Bons ou mauvais, les pères d'autrefois avaient leur place dans la littérature. Après Balzac ou Victor Hugo, il y eut Kafka et sa Lettre au père, ce témoignage poignant des pratiques paternelles humiliantes et méprisantes pour le fils. C'est pourtant ce fils mal-aimé qui, plus loin dans le même texte, porte aux nues la paternité : "Se marier, fonder une famille, accepter tous les enfants qui naissent, les faire vivre dans ce monde incertain et même, si possible, les guider un peu, c'est là, j'en suis persuadé, l'extrême degré qu'un homme peut atteindre." Plus près de nous, la France des années 1960 dévore "Les Mots", l'autobiographie de Sartre : "Il n'y a pas de bon père, écrit le philosophe, c'est la règle ; qu'on n'en tienne pas grief aux hommes mais au lien de paternité qui est pourri [ ... ] . Eût-il vécu, mon père se fût couché sur moi de tout son long et m'eût écrasé." Les fils, c'est bien connu, ne peuvent que souhaiter la mort du père. Pourtant, au même moment, Camus ne partage pas cette assurance : la moitié du récit "Le Premier Homme", écrit en 1960, quand le fils a largement dépassé l'âge atteint par le père (mort à vingt-neuf ans), est intitulée "Recherche du père". On est frappé par l'énergie avec laquelle ces deux orphelins, tout en louant l'amour illimité des femmes qui les entourent, se sont trouvé un père de substitution: un grand-père entouré de livres pour le premier, son instituteur Germain pour le second. Fait notable, les deux remplaçants sont, de métier, des enseignants, transmetteurs de savoir et de culture. Dans tous les cas, qu'il soit aimant ou malfaisant, le père donne la vie - biologique ou spirituelle - mais aussi le goût d'un savoir ancestral. Disparu, il est immédiatement remplacé, comme s'il était un dû ("le père-du").