L'|Incendie de Notre-Dame
Numéros de page :
pp.69-104
Il était bien normal, dans ces conditions, que l'incendie de Notre-Dame, le plus grand épisode romanesque du printemps, trouve sa place au sommaire de ce numéro. L'incendie a réveillé l'existence d'un lien intime avec la cathédrale, qui dormait en eaux profondes. Quel était ce lien, au juste ? Sur quoi reposait-il pour qu'il nous bouleverse à ce point comme l'avoue sobrement Olivier Schefer ? Le lendemain de l'effondrement de la flèche, le journal "Libération" titra « Notre Drame » ce qui était souligner clairement en quoi nous étions saisis intimement, autrement qu'à la fin d'une finale de foot. Victor Hugo en était l'un des témoins, mais pas le seul, si l'on pense aux romans sculptés des chapiteaux du XIIIe siècle qui courent le long des corniches. Quelque chose comme une synthèse de religion, de littérature, de république, de poésie peut-être par-dessus tout ? La réponse de Danièle Sallenave dans ce numéro fait penser à l'image d'une nef, d'une arche embrassant tout sur son passage vers la route du grand large : un accord profond entre l'immobile sacré et l'aventure d'une société humaine à travers les siècles. On comprend bien que l'histoire des destructions et autres catastrophes qui ponctuent l'histoire de ce lieu ne trouve pas toujours à se faire entendre aux oreilles « idéalisantes », partisanes du recommencement à l'identique. Pour autant, c'est l'inverse qui serait suspect : un lieu miraculeusement protégé des atteintes. Au lieu que là, comme le racontent Jacques Darras et Edith de la Héronnière (pour Vézelay), l'harmonie profonde tient précisément aux traces, aux blessures, à la violence du feu. Et comme François Garde a raison d'imaginer une biographie de la charpente, chêne contre chêne, chacun ayant son roman secret, comme les marins nomment leurs navires! Hugo savait tout cela, et il est bien clair que jamais il n'eût écrit « Notre-Dame de Paris » s'il n'y avait lu, à même la pierre, le récit de la société humaine. Il n'a pas été le seul. Thierry Laget nous le rappelle en évoquant l'amour de Proust pour le grand récit des cathédrales, celles de Ruskin, celles aussi bien des volumes sur l'art religieux médiéval d'Emile Mâle dont la lecture lui était un enchantement. Le mot « amour » n'est pas trop fort. N'oublions pas que Proust a songé un moment à titrer « La recherche : L'adoration perpétuelle ». Ce ne sont pas des formules en l'air. Proust ne donnait pas pour autant dans on ne sait quel néo-catholicisme qu'il laissa à d'autres, qui s'y enfoncèrent. C'est une autre histoire. Le nom de Combray est une métaphore : elle vaut pour la petite église de la tante Léonie comme pour la cathédrale des grandes journées de Guermantes : c'est du même livre qu'il s'agit, du même répertoire d'émotions profondes, encore pas assez explorées. Oui, il reste encore à déchiffrer ce « notre drame » dans lequel nous reconnaissons un destin commun, une histoire que nous pouvons dire nôtre, mais comment? Mettons que la "NRF" aura apporté son grain de sel à cette belle énigme. Sommaire. Le dit du chêne de Notre-Dame. La cathédrale engloutie. Le portail Sainte-Anne. "Sum modo fumosa ...". L'Inquisition, l'amour et le théâtre des comparaisons. Pourquoi le ciel est-il bleu à chaque tragédie ?