Le |Féminisme de marché, ou comment la demande d'égalité "pour toutes" est devenue une égalité pour certaines
01 mars 2022
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pp.16-35
Alors que le « nouvel esprit du capitalisme » était en France silencieux sur les inégalités entre les femmes et les hommes, depuis les années 2000, l’exigence d’égalité semble avoir été cooptée par le discours gestionnaire, notamment le principe de mixité dans les espaces de décision et les métiers techniques. Mais comment expliquer l’intégration tardive et sélective par les grandes entreprises de revendications féministes classiques ? Une enquête sociohistorique sur une grande entreprise publique française d’énergie devenue une multinationale financiarisée éclaire le rôle respectif de deux types d’intermédiaires du droit anti-discriminatoire rarement saisis de concert : les syndicalistes d’une part et les managers « militant.e.s de l’intérieur » d’autre part. Le croisement d’archives et d’entretiens permet de rappeler que la demande syndicale d’égalité « pour toutes » a longtemps été déniée par les dirigeants (masculins) et qu’elle est désormais portée par des « féministes de marché » qui assument leur sélectivité sociale. La politique de « diversité de genre » qui se met en place, de manière concomitante aux transformations économiques de l’entreprise, participe à neutraliser les revendications syndicales dans des espaces de « dialogue social » sous contrôle managérial. Si cette politique tend à conforter les aspirations de carrière des plus dotées, elle laisse les salariées subalternes sans défense face aux restructurations financières.