Compétition autour d'un cadavre
Bulletin : Revue historique 675 - juillet 2015
01 juillet 2015
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25 p. / p. 499-523
En 896 ou 897, neuf mois après la mort du pape Formose, un de ses successeurs, Etienne VI, fit exhumer sa dépouille pour la soumettre à un rituel outrageant : le défunt fut revêtu des attributs pontificaux, jugé en concile pour avoir brigué le trône de saint Pierre de manière anticanonique avant d'être dévêtu, mutilé et jeté dans le Tibre. Etienne VI fit également invalider toutes les ordinations qu'avait prononcées son prédécesseur. L'événement a eu un grand retentissement, en raison de la brutalité du procédé, mais aussi parce que les décisions du « concile cadavérique » suscitèrent de vifs débats autour des questions de la translation épiscopale et de la validité des actes liturgiques accomplis par Formose. Il s'inscrit dans le contexte des luttes de faction que se livrèrent à Rome, à la fin du IXe siècle et au début du Xe siècle, partisans et adversaires de Formose. Toutefois, il serait erroné de ne voir dans cet épisode macabre que la manifestation d'un déchaînement spontané de violences né d'une exacerbation des passions. Au contraire, le concile de 896/897 et les actions des papes au cours des années 897-910 furent conditionnés par des stratégies rituelles, juridiques, littéraires et mémorielles destinées à légitimer l'autorité des papes successifs. Dans cette competitio memoriae, les partisans de Formose se sont attachés à démontrer la sainteté de Formose, dont découlait la validité de ses actions, pendant que ses adversaires s'employèrent à souiller sa mémoire et à briser les liens personnels qu'il avait tissés durant son pontificat.