Les |Obsessions de Molière
Bulletin : Revue des deux mondes 2023
01 novembre 2023
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Numéros de page :
pp.111-116
Tout amateur de Molière reprendrait sans doute à son compte les vers de Musset sur sa "mâle gaieté, si triste et si profonde / Que, lorsqu'on vient d'en rire, on devrait en pleurer !". Nul besoin sans doute de revenir sur la troublante gravité de ses pièces. Mais puisque son anniversaire nous en a récemment donné l'occasion, je voudrais aller au bout de l'expérience offerte par la saison Molière, lors de laquelle furent programmées un grand nombre de ses oeuvres en un temps resserré. Rien qu'à la Comédie-Française, pas moins de neuf pièces ont été créées ou reprises dans les trois salles : "Le Mariage forcé", "Les Précieuses ridicules", "Dom Juan", "Le Misanthrope", "L'Avare", "Tartuffe", "Le Bourgeois gentilhomme", "Les Fourberies de Scapin" et "Le Malade imaginaire". A la faveur de cette petite cure intensive, on a vu émerger des motifs si nets qu'ils donnaient parfois l'impression d'entendre l'auteur en personne, exprimant à coeur ouvert une hantise inlassablement revisitée. Il suffisait ensuite de se replonger dans les autres textes pour observer côte à côte ses grands personnages et prendre la mesure du phénomène : par-delà leurs "caractères" officiellement bien distincts, les héros et les héroïnes de Molière disent à peu près toujours la même chose. Et c'est sans doute ce qui fait la force de ses comédies : elles sont nourries par une obsession. Obsession en forme de constat très simple : quoi qu'on fasse, on place mal sa confiance - on choisit mal sa fiancée, on se confie à la mauvaise personne, on s'en remet au mauvais remède... Bref : misère de l'homme inéluctablement livré à lui-même.