De "L'Humanité" à "L'Ordre national". Sur une déviation du "socialisme de guerre"
Bulletin : Revue historique 692 - octobre 2019
01 octobre 2019
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pp.921-957
La découverte récente d’un lot d’archives restées inédites apporte un éclairage nouveau sur le « socialisme de guerre » et ses acteurs. Parmi ceux-ci figure le conservateur de cette précieuse documentation (lettres et manuscrits) qui en fut à la fois le destinataire et l’auteur, Pierre Georget La Chesnais (1865-1948). En nous aidant de ces archives, nous avons pu retracer le parcours de cet homme de réseaux qui évolua dans divers milieux, littéraires et politiques. Introduit presque simultanément au "Mercure de France" et à "L’Humanité" par ses amis de jeunesse, le poète symboliste André-Ferdinand Hérold et le très jaurésien Louis Révelin, ce militant de la première heure de la LDH et de la SFIO s’est rapproché, pendant la Grande Guerre, du groupe des normaliens réunis autour d’Albert Thomas. Parmi les conseillers du « ministre des Obus », figuraient alors les durkheimiens Maurice Halbwachs, François Simiand et surtout Hubert Bourgin avec qui La Chesnais devait nouer une solide amitié politique. Après l’échec d’une tentative pour créer un nouveau parti socialiste plus patriotique dans les années 1920, leur entente finira par déboucher sur des collaborations dans "L’Ordre national", un périodique emblématique de la presse antisémite d’avant-guerre. Cet itinéraire commun illustre finalement les déviations d’un « socialisme purement intellectuel », celui qu’Hubert Bourgin a décrit rétrospectivement avec amertume et ressentiment dans la plupart de ses livres. Chez La Chesnais, le militantisme élitiste des jeunes années s’est construit au contact de la littérature, de la poésie symboliste et du théâtre d’Ibsen considérés à l’époque comme de véritables foyers d’idées libertaires avant de côtoyer, dans le sillage de Bourgin, les propagandistes de la droite extrême à l’approche du nouveau conflit.