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JLG : l'homme extra-ordinaire du cinéma

Bulletin : Positif 741
01 novembre 2022
Auteurs
Numéros de page :
pp.67-69
Jean-Luc Godard est mort le 13 septembre 2022. Il n'aura guère eu à patienter : sa statue de commandeur était dressée depuis des lustres, intimidant le badaud, effarouchant celui ou celle pour qui la révérence ne relève pas de l'automatisme. Les nécrologies dithyrambiques étaient à l'avenant : 8 pages dans "Le Monde", et 28 pages de "Libération" dès le lendemain. Ni Kubrick, ni Fellini, ni Resnais n'ont eu, en leur temps, droit à pareil honneur. Le paradoxe est que l'homme, confondu avec l'histoire du cinéma, dont il incarnait la mémoire et la conscience, en prédisait depuis des décennies la faillite et la disparition, consacrant la majeure partie de son oeuvre à dire et à signifier la crise d'une image annexée par les détournements capitalistes du sens, à dénoncer l'imposture des représentations, l'impuissance du discours et la vanité des récits. Usant du paradoxe et de l'aphorisme ("Le cinéma exprime des impressions et imprime des expressions") comme de matériaux aussi utiles à son art que la lumière ou le montage, il aura, dès la fondation du groupe Dziga-Vertov en 1969, élevé la déconstruction et le métadiscours au rang des beaux-arts, mobilisant le médium cinéma pour en autopsier les insuffisances, dans une démarche solitaire, masochiste, désespérée ; à terme donc, un messie sans disciple, un prophète sans voix, un visionnaire venant bander les yeux d'un auditoire indifférent.