Michel Deville, les jeux de l'amour et du hasard
Bulletin : Positif 699 - mai 2019
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pp.94-115
"Ce soir ou jamais" (1961), "Adorable Menteuse" (1962), "L'Ours et la Poupée" (1969), "Raphaël ou le Débauché" (1971), "Le Dossier 51" (1978), "Le Voyage en douce" (1980), "Péril en la demeure" (1985), "La Lectrice" (1988) ou "La Maladie de Sachs" (1999) furent d'éclatantes réussites, mais il ne faut pas négliger d'autres films plus secrets... Chez Michel Deville, le rituel du jeu masque la profondeur des émotions. Hommes ou femmes (et même enfants : "La Petite Bande", 1983), ses personnages apparaissent tous comme des alter ego : étrangement, le metteur en scène ne surplombe jamais ses protagonistes, il épouse successivement leurs points de vue, sans se départir d'une lucidité volontiers ironique. Le public est invité à faire de même : jusque dans la transgression la plus violente (comique, érotique, criminelle, créatrice...), le cinéaste a la politesse de nous faire partager son regard. De fait, comme une sorte de vertigineux pouvoir qu'il nous transmettrait, Michel Deville se délecte à adopter inlassablement le « point de vue de l'adversaire ». De là naît un plaisir de spectateur lié à une poétique du suspense. Entre distanciation et empathie, les deux grands genres qui irriguent (de façon non exclusive) son cinéma, la comédie romanesque et le film criminel, se fondent sur une tension des comportements qui alimente un récit parfois fragile. Les paradoxes du langage, le basculement du réel vers l'imaginaire, l'inspiration visuelle parfois quasi expérimentale, un sens musical du rythme, le génie du choix des acteurs, voilà ce qui préside à notre adhésion. li nous faut pour cela accepter l'invitation d'un metteur en scène qui, l'air de rien, pratique avec délectation son jeu favori : la direction de spectateur. Michel Deville nous invite à jouer avec lui, comme il a convié auparavant ses scénaristes et ses acteurs. Avec son cinéma, comme vous le vérifierez dans les pages qui suivent, il convient d'entrer dans la danse et de se laisser aller. Sommaire. Ecrire pour "Positif" ? Un doux démiurge. Et puis voici mon coeur. Eloge du jeu et de la contrainte : Deville oulipien ? Michel Deville, cinéaste peintre de la femme. Un Janus. Mes débuts au cinéma.