En juillet 1919, une jeune femme abandonnée sans ressources, confrontée aux difficultés et à l'injustice de sa condition, prend l'initiative d'écrire à un poète pour lui dire combien ses textes, depuis la lointaine découverte du « Livre des images », l'accompagnent et la réconfortent : « Je devrais me taire et me contenter de la musique de vos chants, dans lesquels résonnent la douceur des nocturnes de Chopin et la force contenue des largos de Beethoven. Je devrais me taire ; mais j'aurais le sentiment d'être comme volée et de subir une grave perte si je ne cédais pas à l'impulsion de vous remercier. » Lisa Heise, dont le beau visage figure sur la couverture des « Lettres à une jeune femme et autres écrits sur l'amour » que viennent de publier les éditions Arfuyen dans un rassemblement conçu et préfacé par Gérard Pfister, déclenchera ainsi l'une des nombreuses amitiés épistolaires dans lesquelles Rilke trouvait la bonne mesure de présence et d'éloignement qui constituait sa plus profonde manière (et peut-être la seule authentique) d'être en relation avec autrui.