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Gastronomie

Numéros de page :
52 p. / p. 6-57
Des sens au sens, de la langue qui goûte à celle qui, bien qu'abstraite, rend le compte des impressions, de la bouche qui savoure à celle où se forment les mots et, avec eux, l'espace du partage, c'est une opération continue qui se poursuit encore quand, du partage à la comparaison, une boucle nouvelle met en jeu la mémoire : stockage, indexation, classement, catalogage... De la première tétée au dernier repas, en passant par une vie de rumination - modèle, pour Nietzsche, de la lecture comme art -, le corps et l'esprit ne cesseront de travailler à la manière d'une bibliothèque. Si nous sommes ce que nous mangeons, sommes-nous donc autre chose que la bibliothèque de nos appétits, entendus en tous sens ? Il n'est donc pas surprenant que la gastronomie, qui est l'art de construire et gérer de telles bibliothèques, et de les rendre chaque jour plus efficaces, soit un des jardins secrets de bien de nos collègues. Dans ces pages, les philosophes seront vignerons, les bibliothécaires gourmands et les écrivains gourmets. L'étude se fera serviette au cou, aux tablées dominicales. Le papier sera de potiron, la peinture au jus de morille. Et comme les fantômes ne manquent pas en bibliothèque, on se mettra même en quête des saveurs fantômes. Enfin, annonce apéritive et trace mémorielle, carte du sens de la fête des sens, les menus mieux encore que les livres, et plus inattendus peut-être, seront les monuments de cette archéologie du plaisir où le savoir sera gai, du moins l'espérons-nous.