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Les Femmes au combat

Bulletin : L'Obs avril 2021
Numéros de page :
pp.20-51
Ah, les salopes. C'était il y a cinquante ans et c'était encore le Moyen-Age. Le 5 avril 1971, "le Nouvel Observateur" faisait grand bruit avec un manifeste pour la légalisation de l'avortement qui rassemblait les signatures de 343 femmes (en fait 342, puisque le nom de l'écrivaine Liliane Siegel y figure deux fois). Sept jours plus tard, "Charlie Hebdo" résumait la situation en couverture: "Qui a engrossé les 343 salopes du manifeste sur l'avortement?" Sur un dessin de Cabu, Michel Debré, alors ministre de la Défense nationale de Pompidou, avait l'air d'invoquer une circonstance atténuante: "C'était pour la France !" L'histoire s'écrit aussi avec des gros mots, le manifeste y est resté comme celui "des 343 salopes". Et l'insulte est vite devenue une fierté. "Au fond, ce titre a été une décoration", dit la metteuse en scène Ariane Mnouchkine dans le documentaire d'Histoire TV sur le manifeste, dont nous sommes partenaires. Jeanne Moreau, Françoise Fabian ont déclaré sensiblement la même chose. Reste à savoir si les ouvrières ou les professeures signataires, qui pour certaines ont perdu leur travail, l'ont si bien vécu. Car ce manifeste a ceci de particulier qu'il a mêlé, comme le mouvement #MeToo de 2017, la force des femmes célèbres à celle du nombre. Les premières protégeant les secondes de la prison, mais pas toujours de l'opprobre. Dans ce dossier spécial de 32 pages, nous rendons hommage à toutes celles qui ont pris le risque d'être ostracisées. Nous revenons sur la genèse de cette pétition, dans un contexte où l'avortement clandestin tuait 5 000 femmes par an, et sur le courrier des lecteurs, parfois ignoble, qu'elle a suscité. Mais cinquante ans plus tard, on avorte encore dans le silence en France et dans l'ombre en Pologne, où ce droit recule, comme dans de nombreux pays où il est loin d'être acquis. Où vont les femmes, un demi-siècle après le manifeste ? L'historienne Michelle Perrot et la philosophe Manon Garcia discutent ici des évolutions du féminisme jusqu'à nos jours, où l'omerta concernant les violences sexuelles se lézarde enfin. Et dix personnalités, parmi lesquelles Leila Slimani, Suzane et Najat Vallaud-Belkacem, nous disent quels pourraient être les combats à venir. Aux "343 salopes", l'humanité reconnaissante. Sommaire. Il était une fois les 343. "343 culs de gauche, ensanglantés". Soixante ans d'engagement à la Une. Cachez cet avortement que je ne sauras voir. La grande bataille des Polonaises. "Il reste tant à faire !". Dix combats pour demain.