Deux minutes d'horreur pour l'éternité
Bulletin : Revue des deux mondes 7
01 juillet 2018
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Numéros de page :
pp.154-156
C'est le moment le plus important de la fabrication d'un journal, celui où tout commence. Cela s'appelle la conférence de rédaction, ou le comité. La «conf» a lieu le matin de la livraison du numéro précédent pour lancer la copie du suivant. A Charlie Hebdo, elle se tient le mercredi en fin de matinée. Le 7 janvier 2015 est donc un mercredi. La bande à Charb, les Cabu, Wolinski, Tignous, Riss, Maris et les autres, est réunie autour de la table. Echange de blagues, d'apostrophes, et de cette «forme théâtrale d'indignation» familière à un écrivain reporter, critique littéraire et artistique à "Libération" et à "Charlie", Philippe Lançon, 51 ans. Il voit là rassemblés «des artistes, des militants, peu de journalistes, encore moins de bourgeois» - comme lui. Mais il aime cet air de liberté et de connivence. Ce jour-là, on parle de Michel Houellebecq et de son roman "Soumission", des musulmans, des quartiers, des banlieues abandonnées... Lançon est à la fois présent et déjà loin, il doit remettre une critique de la "Nuit des rois" de Shakespeare, mais il a dans la poche un billet d'avion pour l'université de Princeton, où il doit aller enseigner la littérature française...