Jacques Dupin
Bulletin : Europe 998-999 - juin 2012
01 juin 2012
Numéros de page :
289 p. / p. 3-291
Né en 1927, Jacques Dupin est l'auteur d'une oeuvre qui se détache au premier plan de la poésie contemporaine. Pour sa génération, dont les débuts ont coïncidé avec les lendemains de la Libération, les images de la guerre avaient laissé des marques ineffaçables : parmi les débris et les éclats d'un monde qui n'avait plus de centre, la langue semblait elle aussi pulvérisée, violemment. Des poètes s'écartèrent alors de la toute-puissance accordée naguère à l'imaginaire. Ils se tinrent en retrait des grands élans avec leurs risques d'idéalisme. Une soif de réalités, à toucher, à nommer, animait la plupart. Les uns voulaient « baisser le ton », partir du plus bas pour ramener la poésie vers un réel plus concrètement palpable, d'autres décapaient la langue pour « griffer la réalité ». L'oeuvre de Dupin s'ouvrit en ces années-là. Sa force s'imposa dès l'abord, intransigeante et âpre, sauvage même. Les mots inaltérés de Jacques Dupin partent d'une exigence irréductible de mise à nu de la langue et de soi, à force de brisures et de meurtrissures. Car l'intégrité commande de « se jeter contre » le mur du dehors, l'opacité du dedans, en se connaissant vulnérable, et déchiré. Pour Jacques Dupin, chez qui la langue est éprouvée comme un mouvement perpétuel, la force critique de la poésie est de briser le masque d'une immobilité illusoire du présent pour rendre les choses à leur devenir. La poésie, dit Dupin, c'est une recherche « de l'être dans le monde et de l'autre dans la langue ». C'est sous ce signe que se situe, ici même, la rencontre avec ce poète intègre et fraternel qui aura su, aussi, pénétrer au plus vif des oeuvres d'artistes qui furent ses amis, de Juan Miro à Alberto Giacometti.