Karl Kraus
Bulletin : Europe 1021 - mai 2014
01 mai 2014
Numéros de page :
147 p. / p. 3-149
En 1936, peu après la mort de Karl Kraus à Vienne - cette « station météorologique de la fin du monde » où il avait vécu toute sa vie -, on pouvait lire dans « Europe » une nécrologie dont il vaut la peine de citer quelques mots pour mémoire, tant les traits du profil ne semblent guère avoir jauni : « Adoré par une foule de partisans dévoués, honni par la presse et par la littérature officielles, Kraus réunissait en lui l'esprit d'un Don Quichotte réaliste et d'un Cyrano dénué de sentimentalité. Pendant trente-six ans, il a combattu pour tout ce qui lui semblait authentique, contre tout ce qu'il voyait vil et faux. Sous forme d'attaques directes ou de gloses satiriques, les petits cahiers rouges de sa revue « Die Fackel » lançaient d'incessants défis aux ennemis de ses idées intransigeantes sur la probité humaine. » Kraus fut en effet un écrivain hors pair et un lutteur passionné. Walter Benjamin voyait en lui une « combinaison d'enfant et d'anthropophage » rassemblant toutes ses énergies pour combattre l'opinion et le langage standardisés. Il sut aussi donner toute la mesure de son génie dans « Les Derniers Jours de l'humanité », ce drame gigantesque sur la Première Guerre mondiale où il brasse et mime tous les langages de la société. « Si les Anciens disaient que la poésie naît de l'étonnement devant la vie, la satire de Kraus naît de la stupeur devant l'infamie. Nul n'a été un défenseur de chaque victime à l'égal de Kraus, et c'est là sa grandeur ineffaçable ». observait naguère Claudio Magris. Sans rien celer des complexités propres à sa personnalité et à son oeuvre, ce numéro d' « Europe » nous conduit à la rencontre d'un écrivain aussi actuel qu'intempestif.