Peut-on priver de pub les médias d'extrême-droite ?
Bulletin : L'| Obs 22 juin 2023
22 juin 2023
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pp.18-19
"Je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu'à la mort pour que vous ayez le droit de le dire." La phrase, improprement attribuée à Voltaire, ne sied guère à l'époque. Ces derniers temps, certains groupes militants cherchent plutôt à "écraser l'infâme" (pour le coup, un mot d'ordre de Voltaire), autrement dit à annihiler la voix de ceux qui ne pensent pas comme eux. C'est le cas de Sleeping Giants, un collectif anonyme, actif en France depuis 2017, qui a décidé d'attaquer ses "ennemis" en les frappant au portefeuille. Leur modus operandi est le suivant : interpeller leurs annonceurs publicitaires sur Twitter pour leur "signaler" qu'ils financent, parfois à leur insu, des médias d'extrême droite ("Causeur", "Valeurs actuelles") ou des émissions jugées trop droitières ("Face à l'info" sur CNews, "Touche pas à mon poste" sur C8). "Il s'agit ni plus ni moins que d'une guerre économique", s'indignait fin mai Elisabeth Lévy, fondatrice de "Causeur", dans un édito contre ce qu'elle nomme une forme de "censure woke". Peut-on se donner le droit, au nom du combat pour les idées progressistes, d'affaiblir des médias populistes que, du reste, la justice française a déjà condamnés pour leurs propos xénophobes ? Oui, si l'on soutient la théorie de l'hégémonie culturelle chère à Antonio Gramsci (1891-1937). Selon elle, il est nécessaire de lutter pour séduire l'opinion et, en la matière, la moindre faiblesse profite aux idées du "camp d'en face". Mais on peut aussi considérer qu'un pluralisme respectueux reste le meilleur aliment pour nourrir la démocratie.