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Entretien avec Ken Loach à propos de "Sorry We Missed You"

01 octobre 2019
Auteurs
Numéros de page :
pp.108-113
Quand dans plusieurs siècles (et sans doute avant) on cherchera à définir ce qu'était le travail au tournant de l'an 2000, nul doute que l'on se penchera sur l’oeuvre de Ken Loach. "The Navigators" traitait de la déliquescence du service public, "It's a free world" de l'irruption de méthodes de gangsters dans le pacte social, "Moi Daniel Blake" de la façon dont les hommes sont broyés par un système qui n'a plus le moindre état d'âme depuis que tout s'est informatisé, etc. "Sorry, we missed you", traite quant à lui de l'uberisation galopante de notre monde. Qui révulse Ken Loach, on s'en doute. Le film pourrait bien sûr n'être qu'un pamphlet sans nuances, mais si le cinéaste fait montre de convictions tranchées, il n'en oublie pas (encore et toujours) de placer l'être humain au coeur de sa chronique. Il a le talent (artistique et humain) de ne jamais fustiger les êtres de chair et de sang qui le plus souvent cherchent d'abord à s'en sortir car c'est un système qu'il condamne. La famille que décrit "Sorry, we missed you" n'est pas malade, elle n’est pas assistée, elle ne rechigne pas à se retrousser les manches... mais elle se heurte à un mur, celui de nos sociétés libérales finalement totalitaires. Le cinéaste a le talent de nous faire partager sans compter son désir d'un monde meilleur. Depuis les années 1960, il creuse le même sillon et nous ne nous en lassons pas une seconde. Personne ne sait comme lui se colleter de façon frontale au quotidien le plus dur, mettant en place une sorte de mélo terre à terre, en le transcendant de façon aussi magistrale. Son amour du genre humain est à la mesure de son génie cinématographique.