Le XXe siècle a débuté avec la Grande Guerre, premier exemple d'un conflit total et quasi industriel, sollicitant à des fins meurtrières les toutes dernières technologies. Cent ans après que se sont ouvertes les tranchées, ce recueil évoque la manière dont les écrivains ont mis leur art et leur pensée à l'épreuve de cette expérience sidérante. Autour de ce gouffre fondateur seront abordés ici quelques autres corps à corps entre guerre et littérature, à travers l'histoire (de l'Antiquité grecque à la guerre froide, de Tolstoï à Faulkner ou à Guyotat).

« On mesure l'intelligence d'un individu à la quantité d'incertitudes qu'il est capable de supporter. », affirmait Kant ; et s'il reliait ainsi l'intelligence au désarroi, c'est que penser, c'est douter. Construire, c'est détruire. La gloire de l'homme est de réfléchir ; aucun acte n'est plus violent, puisqu'il implique d'abord une négation, que ce soit par la remise en cause des certitudes établies ou par la critique des systèmes philosophiques antérieurs. Penser, c'est douter - du monde qui nous entoure, du langage dont nous prétendons chaque jour nous servir, de la littérature même, des schémas de vie qu'elle perpétue parfois, dès lors qu'elle est mauvaise.

Jacques Derrida voyait dans « le souple » le meilleur terme pour résumer Barthes. Ce dernier n'a cessé en effet de résister à toutes les images figées - l'une de ses grandes questions ne fut-elle pas celle du stéréotype ? La variété de ses objets va de pair avec l'inventivité de ses approches : d'un côté, le structuralisme et une pensée architecturée ; de l'autre, l'incident, le trait, le haïku, le ravissement amoureux ou érotique. Après 1975, le sémiologue s'avouera écrivain, invitant à considérer son oeuvre comme une autobiographie.

Ils ont introduit le règne de la raison dans un monde gouverné par les croyances, la tradition, les devoirs. Face aux inégalités de naissance, aux privilèges héréditaires, ils ont affirmé l'universalité de l'homme et des valeurs. D'un savoir épars, ils ont tiré une encyclopédie. Imprégnés de la pensée de la Renaissance, ils ont inventé la modernité. Ils s'appelaient Voltaire, Diderot, d'Alembert, d'Holbach. Ils étaient les Lumières.

«Personne n'est l'ennemi des lucioles», écrit Fernando Pessoa dans Le Gardeur de troupeaux. On pourrait en dire autant du plaisir. Bien qu'une curieuse injonction nous conduise à le défendre, le plaisir par lui-même ne connaît pas d'ennemis. Par conséquent, la question qu'il pose à ceux qui le rencontrent n'est pas celle du «pour ou contre», mais celle du «comment». Les censeurs les plus austères le rejettent dans les béatitudes de «l'après-vie», les jouisseurs les plus débridés l'absorbent dans l'immédiateté du présent. Dans tous les cas, il s'agit moins d'en poser les bornes que d'en définir les contours. Tâche naturellement délicieuse que l'histoire littéraire laisse à la fois inaboutie et chaque fois recommencée. (Maxime Rovere)

L'inventeur de Big Brother et de la notion de décence commune, c'est lui. Génie de l'anticipation (1984) et de l'allégorie (La Ferme des animaux), le Britannique George Orwell fut également un grand styliste et un penseur lucide : à la fois antifasciste et antistalinien, il chercha toute sa vie à trouver, dans ses essais comme dans ses romans, la juste mesure entre engagement et rigueur, socialisme et humanisme.