Segalen fut longtemps non pas un poète maudit, outre un statut social respectable (médecin de la Marine), il a toujours eu des lecteurs, en petit nombre certes mais tel était son voeu, mais un poète peu et surtout mal connu.

Vous qui n'aimez pas qu'on vous mette les points sur les i, qui vous détournez instinctivement de ces emballages bariolés, gaufrés, clinquants dont s'enveloppent, depuis des années, les livres à succès aux Etats-Unis, mode nouveau-riche qui naturellement est arrivée chez nous, ne vous laissez pas abuser par la couverture racoleuse de celui-ci.

C'est cinquante ans avant l'an mil. En ce temps-là, la mort de Charlemagne remonte à près d'un siècle et demi et son brillant royaume, d'abord partagé entre ses héritiers indignes puis démantelé en une poussière de fiefs qui vont composer l'Europe féodale, n'est plus qu'un vague souvenir de gloire. L'art et la littérature subsistent dans de rares abbayes épargnées par les pillards normands, les hommes de haut lignage sont incultes, pour ne rien dire de leurs moitiés.

C'est une chose de savoir que Balzac, de 20 à 50 ans, a créé, dirigé et fait fonctionner avec son sang la plus folle entreprise de production littéraire de toute notre histoire, c'en est une autre de pouvoir suivre à la trace un "horrible travailleur" assez conscient de sa fragilité pour, la trentaine révolue, écrire à un correspondant mal identifié : "Ce sera curieux de voir mourir jeune l'auteur de "La Peau de chagrin"".

Avec du retard sur la littérature japonaise, la littérature coréenne semble désormais suivre les mêmes voies pour ce qui concerne sa diffusion en France : de la pénurie à la pléthore.

"Aime ton prochain comme toi-même !" D'accord, dirait l'auteur (un dramaturge suisse) de ce dernier roman séduisant et malsain, mais si je ne m'aime pas moi-même ?

En 1966, l'année de la mort de Breton, paraissait chez Jean-Jacques Pauvert un roman au titre singulier, à la nature plus singulière encore.

Ce livre, nous disent ses auteurs, est l'aboutissement ultime d'une Exposition organisée à la Bibliothèque Municipale de Lyon en 1997.

"Kaveena", ce titre mystérieux où je soupçonne l'auteur sénégalais, virtuose de la langue française, d'avoir glissé un affreux et morbide calembour ("qu'a pas d'veine"), est le nom d'une fillette noire de dix ans enlevée, violée, mise à mort à l'issue d'un atroce rituel sadique. Absente du livre, elle le hante de sa présence en creux. Une enquête secrète révélera que son assassin est un Français, Pierre Castaneda.

Le Saint-John Perse de la revue "Europe" (nov-déc. 1995) faisait peu de place à l'exil du poète aux Etats-Unis, long pourtant de dix-sept années (1940-1957).

Dans la réalité existe une écriture testamentaire. Eventuellement renouvelée plusieurs fois au cours d'une vie, elle a en principe pour but unique de léguer des biens en les distribuant, équitablement ou non.

C'est l'histoire d'une décadence sociale qui s'opère par décrochements successifs et s'étend sur un demi-siècle, de 1920 à 1970 environ, dans une famille de la haute bourgeoisie hongroise.

Quiconque a parcouru l'Italie du nord au sud puis du sud au nord en suivant ses côtes sait qu'il existe peu de rivages aussi désolés ailleurs en Europe.

L'Ecole nationale vétérinaire d'Alfort, héritière directe de l'Ecole Royale fondée au même lieu en 1766, possède et expose encore vingt-et-un "Ecorchés" réalisés par Honoré Fragonard, chirurgien et maître -ès- dissections en tout genre, animales et humaines.

Du temps qu'on écrivait encore des lettres, Max Jacob fut un épistolier frénétique : vingt mille et quelques missives, dit-on, seraient tombées de sa plume.

On chercherait en vain dans ce gros volume une cohérence interne bien nette, c'est essentiellement un pot-pourri de fragments critiques, à vrai dire de statut et de valeur fort inégaux. La seule unité perceptible ici est ce qu'on appellera, faute de mieux, certaine élégance humaniste de la pensée et de l'écriture.

On se souvient de l'hostilité d'André Breton à l'égard du roman réaliste, hostilité partagée par Valéry. C'est Breton qui aurait stoppé le jeune Aragon dans ses premières entreprises romanesques.

Autant le proclamer d'emblée : ce livre est un chef-d'oeuvre d'intelligence, de science critique et de charme littéraire.

"S'il n'y avait pas de Pologne, il n'y aurait pas de Polonais", disait le Père Ubu. Le syllogisme présidant à l'étrange entreprise de Patrick Roegiers est inverse : s'il n'y avait pas, s'il n'y avait pas eu, depuis 1931, des rois des Belges, il n'y aurait pas eu de Belgique, il n'y en aurait pas aujourd'hui, et surtout il ne pourrait plus y en avoir demain.

Deux romans de Haruki Murakami paraissent simultanément. Leur composition séparée par dix-sept ans, nous fournit l'occasion d'examiner d'un peu près l'évolution des thèmes et de l'écriture d'un auteur prolifique, et néanmoins majeur, de la littérature japonaise contemporaine.

Vingt textes courts, au titre apparemment anodin, ou qui pourrait être d'un autre temps, celui des derniers écrits vagabonds de Léon-Paul Fargue ("Méandres", "Portraits de famille") ces petits chefs-d'oeuvre qu'on ne relit pas sans émotion, en se disant tour à tour : "cela est peint", et où trouver ailleurs une telle délicatesse de touche ?

Le joli néologisme que forge Le Clézio, pour donner un titre à ce court essai sur le cinéma dit assez l'attitude décontractée, un rien nonchalante qu'adopte d'emblée l'auteur quand il s'agit de proposer une balade rythmée par une sorte de tempo musical intérieur à travers l'histoire du 7e Art.

Michel Mesnil et M.-C. Ropars ont longtemps tenu ensemble la chronique "cinéma" d'Esprit. Nous avons demandé à M. Mesnil ce portrait de Marie-Claire Ropars qui vient de disparaître.

Ce n'est pas une biographie. C'est l'histoire d'un poème. Cette déclaration du dernier chic quand on écrit une biographie, mais un peu péremptoire, la pardonnera-t-on à Frédéric Martinez au bénéfice de la jeunesse (il a trente-cinq ans), ou bien à celui de l'empathie qu'il manifeste, pour le meilleur et le moins bon, à l'égard d'un Décadent (1867-1920) qui ne fut jamais illustre en son temps et n'est plus guère connu du nôtre ?

Soit une croyance d'origine ancienne et populaire, celle en la métempsycose, qu'on retrouve, sous une forme élaborée dans des systèmes philosophiques (hindouisme, bouddhisme), plus tard répandus en extrême Asie, notamment en Chine. Elle impose à la plupart des vivants l'obligation, pour leur âme immortelle, de s'incarner en des corps successifs, humain, animal ou végétal, autant de fois qu'il le faut jusqu'à l'hypothétique délivrance ultime qui clôt enfin le cycle épuisant des réincarnations.

Et j'étais déjà si mauvais poète/Que je ne savais pas aller jusqu'au bout. Ce dernier vers du premier mouvement de la Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France semble dresser l'amer constat d'une incapacité que le titre même, lourd d'un vocable inattendu (prose) anticipait.

Enfin, l'oeuvre éclectique de Maurice Pinguet (1929-1991), dont n'avait émergé jusqu'à présent que ce chef-d'oeuvre, La Mort volontaire au Japon (Gallimard, 1984), indispensable introduction à l'essence même de la japonité, commence à faire l'objet de publications nouvelles. Et c'est une bonne idée qu'a eue Michaël Ferrier, connaisseur et amoureux du Pays du Soleil-Levant, que d'inaugurer ce qui sera, nous l'espérons, une série d'introuvables et inédits, par un florilège où on lira en premier Le texte Japon, essai consacré par Pinguet aux séjours nippons de son ami Roland Barthes.