Après douze années passées à la tête du Théâtre national de la Colline, Alain Françon va être remplacé par Stéphane Braunschweig, venu du TNS, avec qui il prépare la saison prochaine. Pour sa dernière mise en scène, en tant que directeur, il monte une seconde fois l'ultime pièce de Tchekhov, La Cerisaie, dans une relation très ambivalente à la tradition stanislavskienne

Cette saison la partie théâtrale du Festival d'Automne à Paris s'annonce particulièrement riche. Elle s'est ouverte sur deux grands spectacles : ″I Demoni″, d'après Dostoïevski par Peter Stein aux Ateliers Berthier, et ″Factory 2″ par Krystian Lupa à la Colline, brièvement à l'affiche. En revanche, ″La Cerisaie″ de Tchekhov à l'Odéon, mise en scène par Julien Brochen, et ″Les Chaises″ de Ionesco à Nanterre-Amandiers par Luc Bondy font partie des programmations assez longues pour satisfaire l'attente d'un public attaché à cette manifestation.

Encore Marivaux ? Encore Tchekhov ? Certes ; mais des metteurs en scène, tels que Gilberte Tsaï et Christian Benedetti, qui reprennent exceptionnellement les chemins les plus fréquentés du répertoire, se distinguent encore par leur choix des pièces. L'une au Nouveau Théâtre de Montreuil associe dans ″Le Jeu de l'île″, à ″L'île des esclaves″, ″L'île de la raison″ et ″La Colonie″, beaucoup moins représentées. L'autre au Théâtre-Studio d'Alfortville, qu'il a fondé en 1997, fait entendre la première version de ″La Mouette″.

« Tartuffe » de Molière par Eric Lacascade aux Gémeaux de Sceaux, « La Mouette » d'après Anton Tchekhov par Mikaël Serre au Nouveau Théâtre de Montreuil, « L'Opéra de quat'sous » de Bertolt Brecht et Kurt Weill par Laurent Fréchuret au Centre dramatique national de Sartrouville : ces trois spectacles actuellement joués en région parisienne, représentés dans de longues tournées, témoignent assez bien de la programmation des centres dramatiques et des scènes nationales, de la vie théâtrale sur l'ensemble du territoire

« Oncle Vania » d'Anton Tchekhov, par Alain Françon aux Amandiers de Nanterre, par Christian Benedetti au Théâtre-Studio d'Alfortville: la coïncidence de ces programmations semble conduire à un parallèle obligé ; mais avec deux spectacles radicalement opposés et pleinement accomplis, à partir de la même traduction de Françoise Morvan et André Markowicz, elle permet de jouir de la mise en scène comme art de la variation.

Le spectateur déjà familier de "La Mouette" fait au Théâtre de la Ville une expérience étrange : il reconnaît la pièce de Tchékhov ; pourtant à de certains moments il croit l'entendre pour la première fois. Ce sentiment tient autant à la mise en scène d'Alain Françon qu'à la version traduite par André Markowicz et Françoise Morvan.

Le théâtre intimiste du Russe sur la plus grande scène d'Avignon : c'est le défi que relève le directeur du CDN de Caen avec "Platonov".

Ils n'appartiennent pas à la même génération ; ils créent des spectacles fort différents ; mais ils veulent tous deux se faire "contemporains" des pièces du passé qu'ils mettent en scène, "contemporains" au sens de Giorgio Agamben : Christian Benedetti monte "Trois soeurs d'Anton Tchekhov" au Théâtre Studio d'Alfortville, Jean Bellorini "La Bonne Ame du Set Chouan" de Bertolt Brecht aux ateliers Berthier de l'Odéon.

Une première pièce longtemps réputée injouable, un collectif toujours très inventif : "Platonov" est mis en scène par Rodolphe Dana et l'ensemble Les Possédés, actuellement dans la grande salle de la Colline. Le spectacle ne répond pas complètement à l'horizon d'attente suscité par le nom d'Anton Tchekhov, mais il correspond à certaines virtualités vaudevillesques du texte, atténuées ou dissipées dans le reste de son oeuvre.

Une pièce du passé se joue toujours dans le temps présent, un présent partagé par les artistes et les spectateurs. Cette évidence retrouve pleinement son sens avec l'impressionnante mise en scène d'"Ivanov" d'Anton Tchekhov, à l'Odéon-Théâtre de l'Europe, par son directeur, Luc Bondy.

On avait souvent reproché à Stéphane Braunschweig de ne pas montrer d'oeuvre inédite, et lui-même était si souvent montré soucieux de n'affronter que les grandes pièces du patrimoine, que son attitude devait changer un jour.