L'édition 2022 du festival était marquée par une intranquillité politique qui s'est traduite, dans les films les plus réussis, par une remise en cause de la linéarité narrative.

La ressortie restaurée, ce 8 juin 2022, de "La Maman et la Putain" (voir "Cahiers" no 787), a mené Françoise Lebrun à vivre cette situation étrange : gravir le tapis rouge cannois pour le même film à cinquante ans de distance. Celle qui l'année dernière y présentait "Vortex" de Gaspar Noé aux côtés de Dario Argento dans le rôle d'une mère qui perd ses mots demeure pour tout cinéphile une présence, une voix, reconnaissables entre toutes.

Après les causses enneigés de "Seules les bêtes", Dominik Moll étend le territoire des rois sans divertissement à un Twin Peaks savoyard, Saint-Jean-de-Maurienne. La jeune Clara y est brûlée vive en pleine rue en rentrant de chez sa meilleure amie, à qui, dans la quiétude pavillonnaire alentour, elle était en train d'adresser une vidéo affectueuse. Le clinquant du selfie animé est happé par l'obscurité qui, sous la forme d'une silhouette encapuchée, engloutit ces éclats de vie d'autant plus émouvants qu'ils sont inutiles (les deux filles viennent de se dire au revoir).

Le chef-d'oeuvre de Gene Kelly et Stanley Donen, tourné il y a soixante-dix ans, vient de ressortir restauré en salles et sur un Blu-ray rutilant. Feu d'artifice sonore et chromatique, cette ode au mouvement qui porte un regard hilare et affectueux sur le passage au cinéma sonore apparaît sous un jour différent en ce moment où le grand écran connaît une crise "industrielle". Le revival du musical n'est jamais plus convaincant que lorsqu'il porte avec lui la menace d'une stase.

Dans une série d'émissions diffusées cet été sur France Musique, Patricia Kelly, troisième épouse et biographe de Gene Kelly, fait entendre pour la première fois les entretiens qu'elle a enregistrés avec lui durant les dix dernières années de sa vie.

Transparence de l'écran divisé : Ale (Itsaso Arana) et Alex (Vito Sanz), qui forment un couple de longue date aux prénoms jumeaux, accomplissent leur routine matinale respective, café, gym, emails, dans le duplex qu'ils partagent depuis des années, mais la mise en scène vend la mèche de leur séparation imminente. Sommaire. Reprise party, la critique du film. Mise en crise, entretien avec Jonas Trueba et Itsaso Arana.

Ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre : depuis au moins "Oki's Movie" (2010), Hong Sang-soo, qui écrit ses scènes pour le lendemain et les monte le surlendemain, a émoussé par sa célérité la capacité à repérer les variations d'un film à l'autre chez ses spectateurs, trop occupés à discerner le jeu des sept erreurs à l'intérieur des films, traversés par des reprises, des sautes temporelles, des incertitudes quant à la nature mémorielle ou onirique de séquences repliées l'une sur l'autre.

Au début des années 80, Nan Goldin a eu un amant qui la battait, et qui a choisi, un jour, de s'attaquer directement à ce qui l'atteindrait le plus, sa raison de vivre et son moyen de subsistance : il l'a frappée directement dans les yeux, détruisant « tous les os de [s]on plancher orbital ». Dans le documentaire que Laura Poitras, à son invitation, a tourné avec elle, il s'agit là d'un « biographème » qui glisse le long d'autres commentaires de photos de l'époque.

On cherchera vainement dans L'Amitié d'Alain Cavalier la moindre sentence sur le sentiment amical, parce que c'était lui parce que c'était moi, encore qu'il se souvienne sans doute de l'affirmation de La Boétie selon laquelle cette relation s'entretient « non pas tant par bienfaits que par bonne vie ». Poupée russe dans le sillage de ses "Six portraits XL" (2019), ce long métrage comprend trois segments, chacun consacré à des visites chez un être cher au cinéaste.

Conservateurs, monteurs, chercheurs et chefs-op reviennent sur les mille vies du format standard dans une journée organisée à la Cinémathèque française le 9 mars 2023.

Depuis plus de vingt ans, la directrice de la photographie Céline Bozon donne ses couleurs à un cinéma français à la lisière de l'intime et du fantastique, dépoussiérant le film historique avec l'image vibratile de "La France" de son frère Serge Bozon (2007) ou rendant leur étrangeté aux forêts africaines de "Félicité" d'Alain Gomis (2017). Son approche de l'image : une rigueur technique portée par une philosophie du regard.

La critique de cinéma n'a en général que faire d'objets aussi omniprésents et impalpables que la nuit. Régulièrement, pourtant, surgit sur les écrans un film qui se distingue (comme ce mois-ci, chacun à leur manière, "Miséricorde", "Anora" et "All We Imagine as Light") par sa manière de mettre en scène la nuit et d'en livrer une expérience inédite, absolument singulière. La nuit a toujours été un lieu de ressourcement poétique pour les cinéastes (« Suis-je en train de voir ce que je vois ? », écrivait Raoul Ruiz).

Il y a chez le cinéaste de "Rester vertical" une passion pour l'horizontal. On y trouve la beauté tantôt douce ou convulsive du soleil tombé ou tombant, des corps couchés ou couchants (baisant, dormant, mourant), des strates paysagères et des sols grouillants. L'horizontalité permet aussi une circulation de désirs et de paroles qui invente d'étonnants régimes égalitaires entre les êtres et les choses. En philosophie, on qualifie d'horizontale l'immanence et de verticale la transcendance. Sommaire. Devenir horizontal, la critique du film.

Le 'ficus religiosa', dont les graines, "contenues dans les déjections d'oiseaux, chutent sur d'autres arbres",et qui finit par "étrangler l'hôte autour duquel il s'enroule", fournit à Mohammad Rasoulof son exergue et son titre en même temps qu'un écueil aux proportions d'iceberg : chez le fabuliste qui fit déjà par le passé de divers lieux clos (prison, paquebot, maison) les métaphores d'un État iranien étouffant et déliquescent, la description d'un système foncièrement coercitif est à la fois massive et d'une grande netteté de trait.

"L'Emprise" de John Cromwell (1934), "L'Évadée" d'Arthur Ripley (1945), "La Rue rouge" de Fritz Lang (1946), "Le Piège" d'André De Toth (1948). Ce quatuor de ressorties par le même distributeur, Les Films du Camélia, n'a pas la prétention de donner une définition du film noir ; chaque film diffuse sa noirceur de biais, loin des chefs-d'oeuvre du genre et même de ses propres modèles.

Qui est là ? La question se pose d'abord de façon très concrète au début d'"Un prince" ; à l'image, une femme (Manon Schaap) dont les pensées sont formulées par une voix off appartenant à une autre (on reconnaît immédiatement Françoise Lebrun). La créature hybride ainsi constituée - Françoise Brown - évoque Kutta, garçon venu d'un pays lointain qu'elle a adopté, ainsi qu'un certain Pierre-Joseph (Antoine Pirotte), qui suit une formation d'horticulture dans l'école qu'elle a fondée.

"Quelle époque !" : c'est une réplique qui surgit prestement, pour clore l'ouverture elle-même échevelée du "Règne animal". Pris dans un embouteillage alors qu'ils sont attendus au chevet de la mère à l'hôpital, un père (Romain Duris) et son fils (Paul Kircher) s'engueulent. Sommaire. Animal on est mal, la critique du film. Il était un père, entretien avec Thomas Cailley.