Tout le monde croit connaître la guerre de Troie, mais combien sauraient dire qui est exactement Hécube ? Au mieux, on se souvient qu'elle fut la reine de cette contrée d'Asie, épouse du vieux Priam. Éventuellement, on songe que son fils Hector fut un des principaux héros troyens, dont la veuve Andromaque porta le deuil de façon légendaire. Ajoutons qu'Hécube est également la mère de Pâris, celui par qui le malheur arriva. Et de Cassandre, la femme politique pleine de clairvoyance qu'on ne voulait jamais écouter. Et encore d'une dizaine d'autres enfants, presque tous morts à la guerre.

Ecrivain reconnue, notamment par le prix Médicis qu'elle a reçu en 2015, Nathalie Azoulai est surtout une conteuse étonnante. Capable de passer du récit intime au roman politique , de faire d'un biopic sur Racine un best-seller , puis de se plonger dans l'histoire cryptique d'une famille juive exilée en France, pour ensuite raconter les méandres d'un tournage de cinéma avant d'explorer l'âme d'une mathématicienne et, tout récemment, le monde opaque des ingénieurs codeurs...

Si l'on en croit la belle préface d'André Versaille aux "Fables et contes" de La Fontaine, l'auteur de "La Cigale et la Fourmi" n'était pas un beau parleur. Selon certains de ses proches, il était même timide, voire mutique en société. En outre, ce maître des Eaux et Forêts, pas même diplômé de l'Oratoire, n'était ni ambitieux ni calculateur, lui qui se mit à dos Louis XIV en 1662 alors que sa carrière n'était pas du tout faite.

Lorsqu'il avait 7 ans et demi, Ivan Jablonka a rédigé ces mots, pour ses grands-parents maternels, avec des petits coeurs à la fin de chaque phrase : « Vous pourrez être sûrs, quand vous serez morts, je penserai tristement à vous toute ma vie. Même quand ma vie à mon tour sera finie, mes enfants vous auront connus. » En lisant cette belle archive au début d'"Histoire des grands-parents que je n'ai pas eus", Judith Sibony s'est mise à sangloter comme on fait aux enterrements des êtres chers.

Pour préparer cet article sur Lydie Salvayre, Judith Sibony avait cru bon de se procurer son "Portrait de l'écrivain en animal domestique", opus publié en 2007 qu'elle n'avait pas lu et dont le titre - paré du mot écrivain - promettait, pensait-elle, une mise en abîme forcément passionnante. Le fait est que même lorsqu'on aime un auteur, on s'expose à être déçu. La probabilité que cela arrive est d'autant plus grande que, telle une Amélie Nothomb un peu plus discrète, Lydie Salvayre a publié beaucoup de livres : presque un par an depuis 1990.

Né au Liban, exilé en France puis au Canada, Wajdi Mouawad dirige depuis 2016 le Théâtre national de la Colline, à Paris. Après "Incendies" (2003), "Tous les oiseaux" (2018), il a créé "Mère" en 2021, un spectacle autobiographique, portrait d'une famille exilée en France pendant la guerre du Liban. Cet automne, il présentera une nouvelle création au Théâtre de la Colline, "Racine carrée du verbe être".

On pensait l'avoir lue de près et la comprendre mieux que personne mais, vers la fin de la conversation, on a eu le malheur de lâcher le mot « féroce » : « Je ne vois aucune férocité dans ce que j'écris, s'insurge poliment Yasmina Reza. J'ai toujours eu la plus grande empathie avec mes personnages, je me reconnais entièrement en eux, simplement je ne cherche pas à les édulcorer ou à les adoucir. Je lis le mot "féroce" depuis que j'écris ; "ce regard féroce... " Je ne vois pas à quoi ça correspond. »

Auteur acclamé pour ses récits de voyage, Sylvain Tesson a récemment adapté au cinéma son livre "La Panthère des neiges" (Gallimard, Prix Renaudot 2019). Lorsqu'on lui a rendu visite le 15 mars 2022, il venait de boucler un livre sur sa grande traversée des Alpes à ski, et s'apprêtait à partir en Syrie pour un "reportage archéologique". On s'est d'abord étonné que l'arpenteur du monde sauvage habite l'un des quartiers les plus touristiques de Paris, mais, dans son petit salon avec terrasse près du ciel, la vue et la lumière ont eu raison du bruit et de la foule.

Longtemps, Je n'ai pas lu Emmanuel Carrère. Je trouvais ses sujets dissuasifs : une indémêlable affaire de rasage ("La Moustache", 1986), une sombre histoire de tueur ("La Classe de neige", 1995), un fait divers glauque ("L'Adversaire", 2000), une enquête en Russie profonde ("Un roman russe", 2007), un portrait d'écrivain proto fasciste ("Limonov", 2011 ), ou encore la dépression de l'auteur lui-même, déclinée en deux thèmes : le christianisme ("Le Royaume", 2014) et la méditation ("Yoga", 2020). Sujets dissuasifs, disais-je.

Lorsqu'elle avait une vingtaine d'années, Barbara Cassin écrivait des vers et militait pour que la poésie prenne place partout, y compris dans les rues. Avec deux acolytes, André Sala et Denys Riout, elle avait obtenu de l'entreprise JCDecaux l'autorisation d'afficher des textes sur les Abribus. Ainsi pouvait-on lire, à certains arrêts, des poèmes de son cru. Comme ces lignes, soigneusement typographiées sur des affiches grand format qu'elle conserve aujourd'hui dans son bureau.

Il n'y a pas beaucoup de gens qui considèrent comme une "chance invraisemblable" de ne jamais prendre un seul jour de vacances. C'est le cas d'André Markowicz, selon une logique qui paraît toute naturelle : " Mon travail et ma raison de vivre sont les mêmes", affirme-t-il dans "L'Appartement", récit autobiographique entièrement écrit en décasyllabes.

En 2011, au Festival d'Avignon, un auteur de théâtre à la fois très installé et souvent décrié faisait l'événement avec une pièce d'une simplicité somptueuse, "Clôture de l'amour", dont voici l'argument : dans un décor blanc, un homme et une femme consomment en temps réel la mise à mort de leur couple. Longuement et brutalement, l'homme explique à la femme qu'il s'en va et que c'est sans appel. Longuement et douloureusement, celle-ci l'écoute en silence, s'effondre...

Il y a des pays entièrement bilingues tel le Canada, d'autres qui ont quatre langues nationales comme la Suisse. En Afrique du Sud, pas moins de onze langues sont officiellement reconnues sur le territoire... En France, c'est tout autre chose : depuis la Renaissance, on y défend l'idée d'une langue unique, comme on protège un trésor.

Il y a chez Camille Laurens un panache assez irrésistible lorsqu'elle écrit sur les hommes - c'est-à-dire dans tous ses livres. L'auteure ne fait pas de manières, et son prestigieux volume d'oeuvres choisies publié par Gallimard en 2023, elle l'a baptisé de façon éloquente : "Inventer le désir". Un manifeste à rebours de notre époque, beaucoup plus attentive à ce que la femme "veut bien" qu'à ce qu'elle veut tout court... Or justement, Camille Laurens a l'art de dire que le désir est tout sauf une affaire passive. Qu'il faut l'inventer, oui, avec de l'imagination et surtout de la volonté.

Presque aussi connu qu'une rock star, Hofesh Shechter est un des héros d'"En corps", ce film de Cédric Klapisch qui fait si bien l'éloge de la danse comme art d'exprimer les non-dits.

Tout amateur de Molière reprendrait sans doute à son compte les vers de Musset sur sa "mâle gaieté, si triste et si profonde / Que, lorsqu'on vient d'en rire, on devrait en pleurer !". Nul besoin sans doute de revenir sur la troublante gravité de ses pièces. Mais puisque son anniversaire nous en a récemment donné l'occasion, je voudrais aller au bout de l'expérience offerte par la saison Molière, lors de laquelle furent programmées un grand nombre de ses oeuvres en un temps resserré.